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  • BLACK EGUNS : entrer en relation

    BLACK EGUNS : entrer en relation

    Samedi après-midi, à la Galerie DIX9 – Hélène Lacharmoise, je n’ai pas simplement regardé une exposition : je m’y suis laissé absorber.

    Très vite, les couleurs, les formes et les costumes ont cessé d’être des objets à observer pour devenir des présences à éprouver. Le corps ralentit, le regard s’ouvre, l’analyse s’efface. Un état de flow s’installe.




    BLACK EGUNS, de Smaïl Kanouté, curatée par Chris Cyrille, est une exposition qui se traverse plus qu’elle ne se contemple. Elle prend racine à La Nouvelle-Orléans, dans l’intronisation de l’artiste au sein des Black Indians Yellow Pocahontas Hunters, héritiers des rituels du Mardi Gras, fondateurs de pans entiers de la culture afro-américaine. Mais cette origine n’est qu’un point de départ.

    Franco-malien vivant à Château-Rouge, Smaïl Kanouté déploie une œuvre traversée par plusieurs mondes : Afrique, Europe, Amériques, Japon. Les références aux traditions yoruba, aux carnavals créoles et à la figure du samouraï noir Yasuke composent un espace de circulation où les cultures ne s’additionnent pas, mais se transforment mutuellement.



    Face aux toiles — Bantu Knight, Big Queen – Eggun, Big Chief Tootie — quelque chose agit à un niveau presque somatique. Les masques ne représentent pas : ils regardent. Les couleurs vibrent, imposent leur rythme, et le corps répond avant même que l’intellect ne formule. On ne cherche plus à comprendre, on ressent.

    La sérigraphie Soy Boy – Eggun (2024) condense cette dynamique : une figure rituelle yoruba, transmise à travers la traversée transatlantique, intégrée aux rituels du Mardi Gras. Le sacré circule, sans centre, sans propriétaire.

    Au fond de la galerie, les costumes Heviosso, Zakpata et Watta imposent une autre qualité de présence. Ils évoquent le tonnerre, la justice, la maladie, l’eau — des forces élémentaires. Devant eux, le temps se dilate. Le regard devient attentif, presque cérémoniel. Le corps comprend avant l’esprit.

    BLACK EGUNS n’est ni un retour aux origines ni un simple récit postcolonial. C’est une méditation incarnée sur la relation, au sens d’Édouard Glissant : un monde sans centre unique, où la présence noire devient l’un des fondements de la modernité globale.

    En quittant la galerie, une sensation persistait : celle d’avoir été déplacé, physiquement et intérieurement. Peut-être est-ce là la puissance de cette exposition — nous rappeler que certaines œuvres ne s’expliquent pas, mais s’éprouvent, dans le corps, dans le flux, dans la relation.